Streaming, jeux et nouveaux usages : le divertissement numérique atteint les territoires d’outre mer

Lorsque les îles françaises de l’Atlantique, de l’océan Indien et du Pacifique ont commencé à se doter de leurs propres câbles sous‑marins, comme Kanawa en Guyane ou Tui‑Samoa entre Wallis‑et‑Futuna et les Samoa, le bond qualitatif était attendu, mais les chiffres ont dépassé les prévisions.
D’après l’Observatoire Outre‑mer de l’ARCEP, 545 000 abonnements en fibre optique étaient actifs fin décembre, soit 67 % de l’ensemble des connexions fixes dans les départements et collectivités ultramarins, quatre points de plus qu’en 2023.
La zone Réunion‑Mayotte arrive en tête avec 89 % des foyers raccordés en FTTH, tandis que les Antilles‑Guyane progressent à 54 %.
Connectivité outre‑mer : fibre, 4G et 5G
L’amélioration ne se mesure pas qu’en mégabits. Lors des tests officiels de qualité menés par la même ARCEP, 97 % des vidéos lues sur les réseaux mobiles à La Réunion en 2023 ont affiché une qualité parfaite, contre 90 % en moyenne dans l’Hexagone un an plus tôt.
Les usages évoluent aussi. Les diffusions en direct de championnats d’e‑sport ou de festivals caribéens convergent vers le smartphone grâce à la première vague d’antennes 5G non‑standalone installées à La Réunion, à Mayotte et en Guyane en 2023. Ce pilote prépare l’arrivée de la 5G standalone d’ici 2026.
Avec une bande passante plus stable, le casino en direct est devenu le nouveau bar virtuel des jeunes adultes, de Fort‑de‑France à Saint‑Denis. Jouer à la roulette ou au blackjack en suivant un croupier réel en streaming HD crée une atmosphère hybride, la convivialité d’une salle physique et le confort du canapé.
est désormais possible sur des plateformes spécialisées qui proposent des tables animées par des dealers professionnels et un chat en temps réel, apportant l’expérience de Monte‑Carlo sur n’importe quel écran.
Cette mutation s’inscrit dans un marché qui a généré 14 milliards d’euros de Produit Brut des Jeux (PBJ) en 2024, selon le bilan annuel de l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ), soit une hausse de 4,7 % par rapport à 2023, tirée avant tout par les casinos en ligne et les paris sportifs pendant l’Euro 2024 et les Jeux olympiques de Paris.
Si la réglementation outre‑mer reste calquée sur le cadre métropolitain, les opérateurs adaptent déjà les moyens de paiement locaux, des cartes prépayées aux portefeuilles électroniques compatibles avec les banques régionales, pour servir un public qui consomme désormais banque et divertissement en streaming, sans frontières.
Plateformes de streaming et production locale
La logique du “on-demande” reconfigure aussi l’audiovisuel. Quand Netflix a fêté ses dix ans en France en septembre 2024, la plateforme comptait déjà plus de 10 millions d’abonnés dans le pays et soutenait des investissements atteignant 362 millions d’euros dans des séries tournées localement.
Même la concurrence mondiale renforce l’identité régionale. Le quota français imposé aux plateformes, porté en 2022 de 20 % à 25 % de leur chiffre d’affaires local, stimule l’achat de documentaires et de spectacles de stand‑up tournés à La Réunion.
Le dispositif CNC‑Outre‑mer couvre en outre jusqu’à 40 % du budget des œuvres en créole ou en tahitien attestant d’une production ultramarine. Résultat, le catalogue francophone gagne en diversité sans perdre en portée.
Grâce à la fibre qui dessert désormais les villages littoraux de Mayotte, un court‑métrage tourné au smartphone peut être diffusé dans le monde entier le même jour où il reçoit une mention honorable lors d’un festival scolaire à Papeete.
Dans son ensemble, cet écosystème montre comment la combinaison d’une infrastructure robuste, de politiques d’incitation et de l’appétit de la jeunesse place les territoires ultramarins non plus comme simples récepteurs mais comme véritables créateurs de tendances dans le divertissement numérique.
Les bénéfices dépassent la seule sphère culturelle. Chaque gigabit livré par la fibre génère une croissance supplémentaire du PIB local, selon les estimations de l’Institut de la statistique de Polynésie, qui voit dans le divertissement un vecteur de développement.
Le smartphone au cœur des loisirs
Le mobile est devenu la véritable porte d’entrée du divertissement numérique dans les départements et collectivités d’outre‑mer. Selon l’Observatoire des marchés Outre‑mer de l’ARCEP, on dénombrait 2 millions de cartes SIM actives en 4G fin 2024, soit 77 % de l’ensemble des lignes mobiles de ces territoires, six points de plus qu’un an plus tôt.
À La Réunion, le taux grimpe à 84 %, tandis qu’aux Antilles‑Guyane il tourne autour de 70 %. Cette connectivité alimente une consommation soutenue. Si la dernière enquête de l’Insee recensait encore un taux d’équipement moyen de 67 % en smartphones dans les DOM en 2021, chez les 15‑29 ans l’indicateur dépassait déjà 90 %.
En métropole, le même groupe atteignait 94 %. L’écart se réduit avec la baisse du prix des terminaux et la généralisation des forfaits illimités proposés par des opérateurs régionaux comme Digicel Caraïbe et SRR.
Concrètement, les journées se fragmentent en « micro‑sessions » de quelques minutes, glissées dans les files d’attente pour le bus ou les pauses entre deux cours.
Influenceurs et plateformes de streaming
Le classement StarNgage recense 411 profils “influenceurs” en Guadeloupe, comptant entre 1 000 et dix millions d’abonnés sur Instagram, un chiffre en hausse qui ouvre la voie à des collaborations entre streamers et marques au‑delà du segment gamer classique.
Beaucoup alternent des diffusions en français et en créole, renforçant l’identité locale sans perdre la portée mondiale. Cette équation attire des sponsors des télécoms, des compagnies aériennes et même des fintechs qui proposent des moyens de paiement adaptés au public insulaire, élargissant les sources de revenus des créateurs.
Technologies émergentes : VR, IA générative et 5G SA
La 5G est devenue l’ossature du divertissement en temps réel. Saint‑Denis de La Réunion est devenue en 2022 la première ville ultramarine à bénéficier du réseau 5G d’Orange et, en 2025, elle a atteint une couverture de 80 % de la population.
La latence réduite profite à des arènes comme EVA La Réunion, qui propose des sessions de réalité virtuelle “ free roaming ” couvrant 500 m², capables d’accueillir jusqu’à dix joueurs équipés de carabines sensorielles et alliant e‑sport et immersion totale.
Sur la couche logicielle, LightOn, scale‑up française de l’IA générative, a réalisé son entrée en Bourse sur Euronext Growth en novembre dernier. L’IA et la XR ne sont plus des abstractions futuristes.
Elles soutiennent déjà de nouveaux modèles de revenus, du tip sur vidéo courte aux licences d’expériences VR vendues comme “NFT access pass” sur les marchés régionaux.
Équilibre culturel et opportunités économiques
À l’échelle macro, les régions ultrapériphériques françaises affichent un PIB par habitant allant de 40 % (Guyane) à 64 % (La Réunion) de la moyenne de l’Union européenne, avec un chômage des 15‑29 ans qui peut dépasser 25 %.
Dans ce contexte, l’économie numérique apparaît comme un vecteur d’inclusion, mais elle exige un financement pérenne. En juin 2025, le ministère des Outre‑mer a lancé un portail unique de subventions audiovisuelles, simplifiant l’accès à des fonds couvrant les coûts de séries, podcasts ou docu‑fictions produits localement et distribués sur les plateformes de streaming.
Les incitations communautaires transitent également par la politique de cohésion de l’UE, qui a réservé 27 millions d’euros pour les infrastructures numériques, axées sur la 5G, l’IA appliquée aux langues régionales et la création de hubs d’e‑sports. Ces enveloppes complètent les mesures nationales du plan France 2030.
La préservation de l’identité culturelle reste centrale. Des projets soutenus par le CNC‑Outre‑mer, comme le film créolo‑réunionnais Marmaille, montrent que des récits endogènes peuvent atteindre une échelle mondiale lorsqu’ils bénéficient de chaînes de production compétitives et de réseaux de distribution OTT.